L'enseignement du vocabulaire, élocution et rédaction : méthodes, progressions, séances, documents...
Je développe par copier-coller d'anciens messages, désolée, je suis paresseuse. J'arrive.
http://www.neoprofs.org/t40123p3-lecon-sur-les-complements-essentiels
Dis-moi si tu ne peux pas supprimer les CO, dans ces phrases :
Il mange des carottes.
Je comprends ce que tu dis.
Es-tu sûre de ne pas pouvoir déplacer ces attributs ?
Grande fut ma surprise à la vue de cet individu.
Je trouve étrange cette déclaration.
Mais essaie un peu de me déplacer ces CC :
Il travaille sérieusement.
Il se meurt d'amour.
Nous avons terminé les travaux entrepris hier.
Ce ne sont pas des contre-exemples. Ce sont des exemples tout court dont la littérature abonde. Ils te montrent que ces critères ne sont pas pertinents. En plus, à force de torturer la phrase dans tous les sens, les élèves ne savent plus ce qui est correct ou non. Les résultats sont désastreux. Rares sont les collégiens capables d'identifier un simple COD (tiens, encore un complément essentiel déplaçable...). Les manipulations, à force, les embrouillent. Et elles ont fini par se substituer à une véritable explication des notions (que veut dire complément ? que signifie objet ? qu'est-ce qu'un verbe transitif ?). Dans leur tête, c'est la confusion la plus totale. Une catastrophe.
http://www.neoprofs.org/t40123p40-lecon-sur-les-complements-essentiels#1131766
Le débat étant relancé sur une autre liste, comme j'ai pris mon courage à deux mains pour refaire l'argumentaire, je vous le copie ici. Bonne lecture à ceux que cela intéresse.
D'abord, la notion de complément essentiel a à voir avec celle de groupe verbal, lequel se définit précisément par l'ensemble formé par le verbe plus ses compléments essentiels. Or, rien que ça, c'est foireux.
La notion de groupe, décriée par certains, probablement à cause de l'usage qu'on en a fait, est intéressante. Elle permet de repérer des unités syntaxiques occupant une fonction en tant que telle (Si je dis : Je suis caché derrière l'arbre au fond du jardin, le CC de lieu, ce n'est ni "derrière", ni "arbre", ni "jardin", c'est le groupe "derrière l'arbre au fond du jardin"). Un groupe est repérable par sa cohérence logique, logique que les élèves apprennent à percevoir peu à peu par l'analyse (comprendre à quoi se rattache tel complément, c'est important, et quand ça c'est fait, c'est quasiment gagné, pour l'analyse) mais aussi par le fait qu'il se pronominalise en un seul élément.
Ex :
J'adore les tartines généreusement beurrées et plongées dans le café au lait. > Je les adore.
J'ai envie de tout quitter et d'aller vivre dans les îles sous le vent. > J'en ai envie.
Noémie, elle est bien plus belle que Mauricette. > Ça, pour sûr, elle l'est, cré vindiou !
Mais avec le verbe, ça ne marche pas. Le verbe, c'est le noyau, le Centre, le dieu de la phrase, pas le genre à se pronominaliser comme ça, avec ou sans compléments.
Ensuite, tu vas expliquer aux élèves que les compléments essentiels sont essentiels, ça veut dire nécessaires, impossibles à supprimer, et tu vas ranger dedans les COD, les COI, les attributs (qui ne sont même pas des compléments, c'est un peu comme cette histoire de complétive qui ne complète pas forcément - mais je ferai mon caca nerveux sur la complétive une autre fois), certains compléments de lieu, de temps, et expliquer aussi qu'ils s'opposent aux compléments facultatifs que eux on peut les supprimer, les déplacer et leur faire subir encore maints outrages.
Le problème, c'est que ce n'est pas vrai.
Je rappelle qu'un verbe transitif est un verbe qui PEUT se construire avec un CO mais que ce CO n'est pas toujours obligatoire, loin de là.
Ex :
Je lis un livre. > Je lis.
Je réfléchis à ce que tu m'as dit. > Je réfléchis.
Un complément essentiel peut parfois être déplacé.
Ex : Nombreux sont les exemples qui pourraient étayer ce propos. > Les exemples qui pourraient étayer ce propos sont nombreux.
Même le COD se balade volontiers dans la langue soutenue, comme nous l'allons monter. > Même le COD se balade volontiers dans la langue soutenue, comme nous allons le monter.
Ne me dites pas que c'est rarissime, Molière le fait tout le temps, La Fontaine itou, et ils sont au programme des collèges dès la 6e. Après tout, nous prétendons enseigner une grammaire qui permette de mieux lire, mieux comprendre...
Posons un insant l'hypothèse un peu folle que "aller" se construirait avec un complément essentiel (hi ! hi !).
"Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien, / Par la Nature, heureux - comme avec une femme."
Pardon Arthur, on peut tout aussi bien dire : Et j'irai, comme un bohémien, par la nature, loin, bien loin, heureux...
Ou : Et j'irai, par la nature, comme un bohémien, loin, bien loin...
Ou : Et belle Marquise, j'irai loin, bien loin, comme un bohémien, heureux avec vos beaux yeux...
Hm.
Mais c'est absurde, cette hypothèse. Aller est intransitif. S'il est presque toujours accompagné d'un complément CIRCONSTANCIEL de lieu, c'est parce qu'en général, quand on décrit son déplacement, c'est pour apporter cette information, justement, mais syntaxiquement, cela n'a rien d'obligatoire. Vous en avez marre du Cid ? Autres exemples :
"Quand je relis les pages précédentes de mon récit, je me rends compte que je vais dans les mots comme un gibier traqué, qui file vite, zig-zague, essaie de dérouter les chiens et les chasseurs lancés à sa poursuite." (Ph. Claudel). > "Quand je relis les pages précédentes de mon récit, je me rends compte que je vais comme un gibier traqué, qui file vite, zig-zague, essaie de dérouter les chiens et les chasseurs lancés à sa poursuite." Cette dernière phrase est parfaitement correcte. De même que : "Prenez alors le petit sentier qui va longeant le ruisseau." Ou "Je suis une force qui va" (Totor, et non pas Mitterrand).
Première conclusion : le complément essentiel n'est ni suppressible ni déplaçable sauf lorsqu'il est suppressible et déplaçable.
Bien.
Et le complément facultatif, maintenant.
Il y a plein de compléments circonstanciels impossibles à déplacer.
Ex :
Il réagit normalement.
Il est mort de peur.
"Il était fou de faim." (London)
De même qu'il est des compléments soi-disant facultatifs que tu ne peux pas supprimer.
Rendez-vous demain.
Je me porte comme un charme.
Et encore, je t'épargne les exemples de phrases complexes où tout ça ne tient plus du tout la route tant il est vrai que les éléments syntaxiques sont avant tout, comme on disait avant, "termes de la proposition".
Deuxième conclusion : le complément facultatif est suppressible et déplaçable sauf lorsqu'il n'est ni suppressible ni déplaçable.
D'où il apparaît que le complément essentiel est essentiel sauf s'il ne l'est pas et que le complément facultatif est facultatif sauf quand il ne l'est pas.
Et c'est ça que nous enseignons aux élèves. Et nous nous étonnons qu'en 3e, ils ne sachent toujours pas reconnaître un COD, mais qu'ils pataugent dans les manipulations les plus hasardeuses.
Parce que les dinosaures qui enseignent encore les notions de complément d'objet autrement qu'avec ces critères des plus discutables, en lien avec celle transitivité, ces dinosaures sont en voie de disparition. C'est pourtant la seule manière d'expliquer les choses de façon à peu près limpide, applicable à tous les textes, sans multiplier les exceptions ni obliger les élèves à de perpétuelles triturations de la phrase dans lesquelles ils perdent leur peu de syntaxe. C'est surtout le seul moyen de reconnaître à coup sûr CO et autres dans un textelittéraire où la place des éléments est régie autant par le style, voire les contraintes liées à la versification, que par les règles de distribution de la langue.
http://www.neoprofs.org/t40123p60-lecon-sur-les-complements-essentiels#2028459
Mes autres arguments seront moins purement grammaticaux, davantage fondés sur une certaine conception de l'enseignement de la grammaire.
Selon moi, l'enseignement de la grammaire a (au moins) deux objectifs essentiels :
- faire prendre conscience des règles de construction de la phrase à la fois pour que cette conscience soit, tout simplement (ahi ! un verbe être sans complément essentiel...) - n'oublions pas que la grammaire est une première entrée dans l'abstraction et le raisonnement logique, au point que les Grecs en faisaient une propédeutique à la philosophie - éventuellement transposable à d'autres apprentissages, notamment ceux des langues étrangères, mais aussi pour permettre à l'élève, grâce à la dimension normative de la grammaire, de corriger son expression et de comprendre pourquoi Un dragon qui vivait là, point, ou Je sais pas c'est quoi sont incorrects.
- permettre de prendre conscience de tout écart par rapport à cette norme, c'est-à-dire rendre capable de repérer les effets de style et d'en jouer soi-même.
Or, poser comme postulat de départ que la place des complément est soit figée, soit complètement aléatoire, c'est brouiller la règle et l'écart. C'est surtout complètement faux.
Du point de vue de la construction syntaxique, en gros, dans la phrase verbale, il y a un thème et un prédicat, c'est-à-dire un sujet et un verbe au moins, ce qu'on peut affiner :
S + v. intr.
S + v. intr + attribut
S + v. tr. + CO
À cette structure minimale, on pourra ajouter tout un tas d'enrichissements. Mais c'est cette structure qui reste fondamentale, constitutive du prédicat. Elle impose un ordre canonique. Mais cet ordre est sans cesse bousculé par des considérations stylistiques. J'affirme haut et fort que n'importe quel groupe fonctionnel peut être placé, à des fins stylistiques, à une place non canonique par rapport à cette structure de base, en début ou en fin de phrase :
- sujet : Au commencement était le verbe.
- complément d'objet : A toi, mon fils, je donnerai mon royaume. / De ce choix dépendrait tout le reste de son existence.
- attribut du sujet : Grande était la douleur de Roland.
- complément circonstanciel : Dans cette maison vivait une sorcière.
Il y a deux exceptions.
La première, c'est le COD, qui ne peut pas être placé en début de phrase, pour cette seule raison que, comme rien, syntaxiquement, ne le distingue du sujet, cela créerait des confusions. La souris mange le chat a peu de chance de passer pour une figure de style, mais plus vraisemblablement pour une cocasserie. Mais je vais jusqu'à hasarder que dans un contexte poétique, par exemple dans La Chanson de Roland, où nous lisons communément Fol était Roland, Nombreux sont les ennemis, nous pourrions peut-être lire sans broncher : Son épée brandit Roland. C'est un peu audacieux de ma part, mais je veux juste insister sur le caractère purement stylistique de la place des GN (il n'en va pas de même pour les pronoms dont l'emploi très peu souple suffit à foutre par terre cette histoire de compléments mobiles, systématiquement fausse quand les compléments en question sont des pronoms, soit dit en passant, parce que ça non plus, c'est pas rare, et cela ne peut qu'ajouter à la confusion des élèves à qui on serine qu'un CC, c'est déplaçable. D'où ils peuvent conclure à juste titre que y et en ne sauraient être CC). Pardon, je m'égare. Revenons à notre syntaxe et à nos effets de style.
Par contre, un COD peut parfaitement être rejeté loin du verbe. C'est ce que fait Perrault dans La Belle au bois dormant, en substance : Le prince découvrit, dans une chambre tout en haut de la plus haute tour, sur un lit d'ivoire et d'or encadré de voiles diaprés, une éblouissante princesse. Vous me direz que c'est les CC qu'on a intercalés, mais on s'en fout : ce qui fait style, ici, c'est pas les CC en milieu de phrase, c'est bien le COD rejeté en fin de phrase pour créer un effet d'attente. Si je remets le COD juste après le verbe, c'est quoi, que je déplace, le COD ou les CC ? Franchement, on s'en tape et, surtout, on joue sur les mots.
La deuxième fonction qui n'a aucune mobilité, c'est le complément d'agent. Les thuriféraires des critères de distribution le poussent commodément sous le tapis celui-là. L'est chiant. Il est parfaitement suppressible - c'est même un des grands intérêts du recours à la voix passive que de faire opportunément disparaître l'agent du procès - et pas du tout déplaçable. On en fait quoi ?
Il a été tué par Mlle Rose.
*Par Mlle Rose il a été tué.
*Il a par Mlle Rose été tué.
Et s'il n'est pas déplaçable, ce n'est pas, comme le COD, à cause de risques de confusion, puisque le complément d'agent est introduit par une préposition qui permet de le repérer aisément. C'est justement à cause de ces histoires de style, de thème et de prédicat. La voix passive met le CO à la place du sujet : ce qui se passe, c'est qu'on change de sujet, communément parlant, ou de thème, pour parler le grammairien. On parle parfois de diathèse pour signifier que, par rapport à la voix active, on opère un déplacement du thème et du prédicat. Et c'est une chose à laquelle je tiens à sensibiliser les élèves. Regardez dans TDL 5e : dès ce niveau, je leur fais comparer deux phrases comme : Sherlock Holmes a été créé en 1881 par A. C. Doyle et A. C. Doyle a créé Sherlock Holmes en 1881, en leur demandant laquelle de ces phrases on pourrait trouver dans une biographie de Doyle, laquelle dans un article sur Sherlock Holmes. Et les élèves ne s'y trompent pas, ils sentent bien que ça n'a pas le même sens. Pour moi, enseigner la grammaire, c'est enseigner cette finesse de compréhension, permettre de s'approprier ces nuances subtiles de la langue. Et c'est cette subtilité que la grammaire distributionnelle fait voler en éclats quand elle prétend que : Dans cette maison vivait une sorcièreet Une sorcière vivait dans cette maison, c'est pareil, ou pire encore, que Dans le living-room il a été tuépourrait être une phrase correcte, alors que, pour des raisons de style qui n'ont rien d'abscons dès qu'on les explicite, en réalité, on ne peut pas dire une phrase pareille.
Je défends une grammaire structurante par la clarté qu'elle fait de la description des structures de base de la phrase, de leur caractère normé, qui se garde bien de fiche la phrase sens dessus dessous.
Je défends une grammaire créatrice par la mise en évidence, dès la Sixième, de tous les effets possibles qui naissent de l'écart avec cette norme.
Parce que selon moi, une grammaire qui apprend à bien lire et bien écrire, c'est ça, pas un tripatouillage de la phrase qui revient à dire que la place des mots, finalement, n'a pas beaucoup d'importance.
Vous voyez qu'au-delà de la question pragmatique de l'efficacité pédagogique, il y a aussi une vision de la grammaire et de ses fins.