L'enseignement du vocabulaire, élocution et rédaction : méthodes, progressions, séances, documents...
Véronique Marchais (auteur des manuel Terre des lettres 6e, 5e, 4e, 3e, ainsi que d'un manuel de rédaction) a écrit sur le forum Neoprofs :
"[...] Qui, parmi les instits, a reçu une formation pédagogique suffisamment complète et ouverte pour avoir un réel recul sur ses pratiques, savoir pourquoi telle méthode est préférable à telle autre, connaître les enjeux de chaque activité, penser une progression des apprentissages dans des domaines aussi essentiels que la lecture ou l'écriture ? Rachel Boutonnet, dans sa relation de son année d'IUFM, disait qu'elle avait eu à peine deux après-midi sur l'enseignement de la lecture. Que peut-on apprendre de sérieux en si peu de temps ?
On se demandera sans doute d'où je parle, moi, professeur de collège, et on me trouvera peut-être méprisante avec les instits. Or je n'ai aucun mépris pour le travail des instits, bien au contraire. C'est avec eux que j'ai réappris mon métier, parce que faut pas rêver, moi, prof de collège, je n'étais pas mieux formée qu'eux pour enseigner ma discipline. C'est avec eux que je me suis réunie régulièrement pendant des années pour travailler sur la pédagogie de la grammaire, la conception des progressions pédagogiques. Et même si je pouvais paraître n'être que peu concernée, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt le travail sur la lecture et l'écriture (et la mise au point de la fameuse méthode d'écriture-lecture du réseau SLECC). De mon côté, je menais des recherches actives sur la pédagogie de la rédaction, en passant au crible les manuels anciens donnés en référence au GRIP. Et j'ai beaucoup appris des instits, de mon travail avec eux. Et en travaillant pour le collège sur la manière de travailler l'écrit à ce niveau, j'ai compris une chose que les anciens manuels avaient parfaitement intégrée : l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, ainsi que le dit le GRIP, est lié. C'est évident pour le déchiffrage. Mais cela va bien au-delà.
Le rapport du HCE parle de 40% d'élèves non-lecteurs autonomes. Dieu merci, parmi ces 40% (c'est énorme), la majorité déchiffre tout de même. Voici ce que dit le rapport :
Ils ne sont pas encore des lecteurs assez entraînés pour assimiler le contenu de livres scolaires, ou même pour les utiliser. Les professeurs de sixième constatent qu’ils lisent trop lentement parce qu’ils déchiffrent mal, ou bien qu’ils déchiffrent correctement mais ne comprennent que très partiellement ce qu’ils lisent, faute des connaissances linguistiques (lexique, grammaire) et culturelles suffisantes.
Ce que moi j'ai constaté sur le terrain (du collège, donc), c'est un grand déficit de vocabulaire, mais aussi une insuffisance en grammaire (incapacité à suivre la chaîne référentielle par une identification claire des pronoms, par exemple, qui ne sont parfois même pas lus mais ignorés comme des "petits mots" sans importance) et en syntaxe.
Or, depuis que je fais travailler mes élèves de façon très méthodique en rédaction, avec une progression annuelle, des exercices d'entraînement, je remarque que progresser en écriture, c'est-à-dire intégrer, faire siennes des tournures syntaxiques, des formes grammaticales, cela permet de progresser en compréhension.
On n'a jamais autant parlé de tâche complexe et on oublie trop souvent que lire est une tâche complexe en soit, qui nécessite le travail conjoint de la grammaire, de la syntaxe et de l'écriture.
Et je ne parle pas là de séquences à la c.. qui viendraient tout mélanger sous couvert d'unité thématique, en dépit de toute considération relative à la progressivité nécessaire dans chaque domaine. Je parle d'enseigner à écrire des phrases simples, des réponses rédigées, puis quelques phrases qui progressent bien, se relient progressivement entre elles pour former de petits paragraphes. Qui sait encore faire cela, en Primaire ?
Pas le temps, me direz-vous.
On n'a pas assez de temps pour lire, on en a encore moins pour faire écrire et, de toute façon, la pédagogie de la rédaction s'est perdue. Il y aura toujours quelques PE pour protester que moi, madame, ne vous en déplaise, je fais faire tant de rédactions par an. Mais d'une part, les témoignages sont suffisamment nombreux pour constater que c'est loin d'être la majorité. La plupart des cours consistent en photocopies à compléter, y compris les contrôles qui demandent rarement de rédiger une réponse complète, et les rédactions, même modestes (on ne va pas faire écrire une page en CE), restent bien rares.
En outre, je l'affirme aussi bien pour le collège que pour le Primaire, ce n'est pas une simple juxtaposition de rédactions qui fait progresser en rédaction. Il faut encore être capable, entre deux évaluations (car c'est d'abord cela, l'exercice traditionnel de la rédaction), de transmettre un contenu, et ce de façon aussi méthodique, organisée que possible. Seulement, on ne sait plus faire.
Et je pense que l'apprentissage de la lecture souffre directement de cette perte, car c'est par l'écriture que l'on fait sienne cette syntaxe de l'écrit dont la maîtrise est nécessaire pour être un lecteur autonome.